Les Amoureuses

Alphonse Daudet


À Mme Alphonse Daudet

 

 

Tu as pour te rendre amusée

Ma jeunesse en papier icy…

 

Clément Marot, à sa dame.

AUX PETITS ENFANTS.

 

Enfants d’un jour, ô nouveau-nés,

Petites bouches, petits nez,

Petites lèvres demi-closes,

Membres tremblants,

Si frais, si blancs,

Si roses !

 

Enfants d’un jour, ô nouveaux-nés,

Pour le bonheur que vous donnez,

À vous voir dormir dans vos langes,

Espoir des nids

Soyez bénis,

Chers anges !

 

Pour vos grands yeux effarouchés

Que sous vos draps blancs vous cachez.

Pour vos sourires, vos pleurs même,

Tout ce qu’en vous,

Êtres si doux,

On aime ;

 

Pour tout ce que vous gazouillez,

Soyez bénis, baisés, choyés,

Gais rossignols, blanches fauvettes ;

Que d’amoureux

Et que d’heureux

Vous faites !

 

Lorsque sur vos chauds oreillers,

En souriant vous sommeillez,

Près de vous, tout bas, ô merveille !

Une voix dit :

« Dors, beau petit ;

Je veille. »

 

C’est la voix de l’ange gardien ;

Dormez, dormez, ne craignez rien,

Rêvez, sous ses ailes de neige :

Le beau jaloux

Vous berce et vous

Protège.

 

Enfants d’un jour, ô nouveau-nés,

Au paradis, d’où vous venez,

Un léger fil d’or vous rattache.

À ce fil d’or

Tient l’âme encor

Sans tache.

 

Vous êtes à toute maison

Ce que la fleur est au gazon,

Ce qu’au ciel est l’étoile blanche,

Ce qu’un peu d’eau

Est au roseau

Qui penche.

 

Mais vous avez de plus encor

Ce que n’a pas l’étoile d’or,

Ce qui manque aux fleurs les plus belles :

Malheur à nous !

Vous avez tous

Des ailes.

 

LE CROUP.

 

Alors Hérode envoya tuer dans Bethléem

Et dans les pays d’alentour les enfants de

Deux ans et au-dessous.

 

Saint Matthieu, III.

 

I.

 

Dans son petit lit, sous le rayon pâle

D’un cierge qui tremble et qui va mourir,

L’enfant râle.

Quel est le bourreau qui le fait souffrir ?

 

Quel boucher sinistre a pris à la gorge

Ce pauvre agnelet que rien ne défend ?

Qui l’égorge ?

Qui sait égorger un petit enfant ?

 

Sombre nuit ! La chambre est froide. On frissonne.

Dans l’âtre glacé fume un noir tison.

L’heure sonne.

Le vent de la mort court dans la maison.

 

II.

 

Aux rideaux du lit la mère s’accroche.

Elle est nue. Elle est pâle. Elle défend

Qu’on l’approche :

Elle veut rester seule avec l’enfant.

 

Son fils ! Il faut voir comme elle lui cause !

« Ami, ne meurs pas. Je te donnerai

« Quelque chose ;

« Ami, si tu meurs, moi je pleurerai. »

 

Et pour empêcher que l’oiseau s’envole,

Elle lui promet du mouron plus frais…

Pauvre folle !