Nihil obstat
Jean-Michel Maldamé o.p.
Denys Sibre o.p.

Imprimi potest
Toulouse le 5 avril 2022
Olivier de Saint-Martin o.p.
Prieur provincial

© 2022 Hervé Ponsot

Edition : BoD - Books on Demand GmbH

12/14 rond-point des Champs Elysées 75008 Paris

Imprimé par BoD – Books on Demand GmbH, Norderstedt

ISBN : 978-2-3224-2762-8

Dépôt légal : Avril 2022

« Moïse quitta l'Egypte, sans redouter la colère du roi ;
car il tint ferme, comme s'il voyait celui qui est
invisible
. »

(He 11,27)

« Auprès de toi est la source de vie, par ta lumière,
nous voyons la lumière
 » (Ps 36,9)

« Ce que l’on voit provient de ce qui n’est pas
apparent
 » (He 11,3)

« L’art ne reproduit pas ce qui est visible, il rend
visible
 » (Paul Klee)

L’espérance en question

Un détour par la photographie

La photographie est un sujet dont je ne suis absolument pas spécialiste, mais auquel je suis sensible, depuis des années, en particulier pour celle dite « en noir et blanc ».

Récemment, j’ai été conduit à visiter le site d’une revue en ligne sur la photographie : OpenEye. Très belle mise en page accessible gratuitement. Pourquoi avoir visité ce site ? Par simple curiosité ? Non pas. Certes, je viens d’écrire que je ne connais pas grandchose, en particulier au plan technique, à la photographie, mais je n’en ai pas moins, lors de mes trois ans d’études sur le campus d’HEC, rejoint quelques amis pour mettre en place une exposition photo-cinéma, qui se tenait sur plusieurs jours.

Nous avions pu faire venir plusieurs gloires photographiques du moment : Henri Cartier-Bresson, son épouse Martine Franck, les membres de l’agence Viva et bien d’autres, parmi lesquels Claude-Raymond Dityvon. C’était une commande : il lui avait été demandé de passer quelques jours sur le campus et de livrer ses impressions photographiques en noir et blanc. Ce fut une réussite, et je me souviens en particulier de deux clichés :

Ces deux clichés étaient formellement très réussis. Mais leur réussite provenait surtout pour moi du fait qu’ils mettaient au jour une réalité que les apparences couvraient pudiquement. Et le noir et blanc, par les jeux de lumière qu’il permet, favorisait cette mise au jour. Par la lumière, ces artistes voyaient une lumière que le commun des mortels ne voit pas.

Le lecteur l’aura compris, ce que je trouve passionnant dans un art comme celui de la photo, en plus de sa beauté formelle, est sa capacité à dépasser l’apparence pour me faire connaître des aspects du réel, que mes yeux aveugles n’auraient jamais vus sans elle.

De la photo à la Bible…

Le prophète, un voyant

Qu’est-ce qu’un prophète ? Ce décalque du terme grec est formé d’une particule, pro, et d’un verbe, phêmi, qui signifie parler. Tout va dépendre du sens que l’on donne à la particule. On l’entend très généralement comme signifiant « par avance », et le prophète est couramment considéré comme celui dont les paroles anticipent l’avenir. Rien vraiment d’étonnant tant que ces paroles sont celles de Dieu, et c’est pourquoi la question de savoir leur origine véritable est centrale dans l’Ancien Testament. Mais la particule pro peut aussi s’entendre comme signifiant « au nom de », et le prophète doit être plutôt considéré comme « porte-parole », celui qui parle au nom de quelqu’un qui l’a envoyé : qu’il s’agisse de Dieu, du roi, ou même de forces hostiles à ces derniers.

Cette deuxième interprétation du mot prophète, pour être moins connue, n’en est pas moins essentielle : elle permet de comprendre pourquoi le prophète peut être si peu entendu lorsque Dieu qui l’envoie n’est pas reconnu.

Il reste que, dans l’Ancien Testament, le prophète n’est pas seulement celui qui parle, mais il est aussi : le voyant. Le texte le plus connu sur ce point est le suivant :

« Autrefois, en Israël, on disait, en allant consulter Dieu : « Venez et allons au voyant. » Car celui qu'on appelle aujourd'hui prophète s'appelait autrefois voyant » (1 S 9,9 ; cf. aussi 2 S 24,11 ou 1 Ch 9,22).

Pourquoi ce nom de voyant ? Un passage du livre des Nombres est éclairant, si je peux employer ce qualificatif :

« Oracle de Balaam, fils de Béor, oracle de l'homme dont l'œil est perçant1 ; 16 oracle de celui qui entend les paroles de Dieu, qui connaît la science du Très-Haut, qui contemple la vision du Tout puissant, qui tombe, et dont les yeux s'ouvrent. 17 Je le vois, mais non comme présent ; je le contemple, mais non de près… »

Ainsi, le prophète est-il en quelque sorte le « photographe de l’événement ». Il voit au-delà du visible, cet invisible que Dieu fait voir par sa lumière. Mais il faut bien entendre ce « au-delà » qui pourrait nous reconduire vers l’idée anticipatrice évoquée plus haut : en fait, le voyant voit « au-delà de ce qui se voit », il traverse le paraître pour rejoindre une réalité qui échappe au regard de la plupart des hommes, mais qui n’est pas distinct de ce paraître car c’est en lui qu’elle se manifeste.

Dans un monde bouleversé et violent, où les guerres se multiplient dans le présent, où l’avenir est incertain sinon opaque pour beaucoup, voir au-delà des apparences est une force. C’est aussi le fondement de cette espérance sur laquelle je reviendrai en fin de volume, après avoir présenté et commenté de nombreux textes bibliques qui la fondent.

Une lecture photographique des textes bibliques

Puisque je vais citer et commenter de nombreux textes bibliques, je voudrais rappeler le statut de ces textes pour la tradition chrétienne.

Les textes qui transmettent la révélation chrétienne, y compris ceux de l’Ancien Testament, sont des témoignages. Ils sont, selon la tradition chrétiennes, « inspirés », entendons que l’Esprit-Saint a collaboré à leur écriture, mais ils ne sont pas sacrés dans leur lettre. Les récits qu’ils nous transmettent, enracinés dans l’histoire humaine, nous renvoient au-delà d’eux et, d’une certaine manière, ils sont eux aussi une forme du paraître invitant à rejoindre une réalité qui se trouve en leur cœur, les dépasse et nourrit l’espérance.

C’est ce que montrent en particulier d’un côté la réflexion paulinienne sur l’Ecriture sainte, d’autre part le genre si connu et si mal connu de l’apocalyptique.

La lettre et l’esprit d’après saint Paul